mercredi 14 octobre 2009

"Ceci est l'histoire d'un échec"

« Ceci est l’histoire d’un échec ».
C’est avec cette phrase que Che Guevara commence son récit sur sa tentative de soutien à la guerre soi-disant révolutionnaire de Kabila père au Congo. Je ne voulais pas commencer mon article comme le Che après tous ces mois de silence. Malheureusement je ne vois pas d’autre meilleur début. Comme les Cubains venus ici en solidarité avec les peuples opprimés, je suis tombée dans un « processus de décomposition de [mon] moral de combattants. » Je n’oserai pas m’attribuer l’adjectif de combattante (quoi que) et je ne peux pas me comparer aux révolutionnaires cubains, ce serait de ma part prétentieux. Cependant, je ne peux pas m’empêcher de ressentir ce que le Che décrit dans ses mémoires. Après un an de combat infructueux, les Cubains sont partis de ce pays. Je sens que mon sort sera le même. Je ne vois pas d’autres solutions pour garder ma santé morale, ma motivation, mes forces. Ces derniers mois, je suis passée par des états que je n’avais jusqu’alors jamais expérimentés : des états de déprime cyclique, des crises d’angoisse fréquentes, et trop de cigarettes parties en fumée. Certains passages de son carnet me parlent. Ma colère et ma rage vont en grandissant au fur et à mesure de mon séjour ici.

Le Che cherchait la « cubanisation » des Congolais et « le résultat fut diamétralement opposé et (…) avec le temps [il] assistât en fait à la « congolisation » des Cubains. »
Comme ces fonctionnaires. Je vois des fonctionnaires de grandes organisations européennes sous-louer une chambre de leur maison payée par leur organisme, comme des crèves la faim. Alors que dans leur pays, ceci s’appellerait de l’hospitalité, du dépannage, de la solidarité…

Je vois des Congolais qui perdent leur enfant à cause d’une banale diarrhée qui n’a pas pu être soignée à l’hôpital vétuste du village. Au même moment, les journaux informent que l’argent servi dans les caisses de l’Etat par Mobutu, et bien au chaud dans des comptes en Suisse, ne sera pas rendu au pays, mais rendu à la famille du défunt comme si c’était un dû.

Je vois un boulevard crevassé et verdoyant transformé par les Chinois en autoroute de la mort, dépouillé de ses arbres centenaires (on attend encore de voir le résultat fini après 6 mois de chantier !). Ils ont coupé les arbres, sans fermer la circulation. Je vois des arbres coupés qui sont tombés sur le toit des maisons, des troncs laissés là. Je vois des manguiers en morceaux qui nourrissaient les plus démunis lorsqu’ils ombrageaient encore les rues.
Ils se sont rendu compte trop tard qu’il fallait peut-être mettre en place un système d’évacuation d’eau avant de faire un boulevard à 6 voies.
Le rond-point Mandela avec sa belle colombe blanche, les ailes déployées, qui ralentissait les voitures folles a été mise dans un coin de l’Avenue de la Justice, cachée, abîmée par le déménagement. La colombe maintenant surveille les policiers qui arrêtent les voitures pour quelques centaines de francs. Comme le Che l’écrivait déjà au début des années soixante, les soldats préféraient piller les villageois (faibles) plutôt que de s’en prendre aux chefs, les responsables de leur infortune. Encore maintenant c’est la population qui paye l’infortune des gens en uniforme.
Maintenant plus rien n’arrête les voitures délabrées et les bus surchargées. Je vois des enfants qui n’arrivent plus à traverser le boulevard sans risquer de se faire écraser. Le terre-plein, qui séparait les voies et qui servait de refuge pour les piétons qui tentaient de traverser le boulevard, a disparu.
Ce chantier fait parti des « 5 chantiers de Kabila ». Quels sont les autres chantiers pour la population? La construction d’un hôtel 5 étoiles ? Kinshasa est devenu un énorme chantier : des investisseurs construisent de partout des immeubles de luxe, moderne. Mais tout ça c’est pour le bénéfice de qui ?

Je vois l’Avenue du Commerce sous les eaux, les commerçants les pieds dans la boue alors qu’il n’a pas plu depuis avril.

Il n’y a rien de plus déprimant que de lire les journaux congolais, pleins de fautes d’orthographe, d’articles copiés d’un journal à l’autre, et des nouvelles qui ne traduisent aucune lueur d’espoir pour la situation du pays : Viols, massacres, déplacés par milliers, impunité, salaires impayés depuis des mois, corruption banale à tous les niveaux, et le silence de Kabila… Où est-il ? Que fait-il ?

Par contre il ne faut pas dépiter le moral des soldats par les mauvaises nouvelles. Il vaut mieux couper les fréquences de RFI dans l’Est.

Des élections locales en 2010 ? Non mais, on se permet encore de rêver ! De toute façon la communauté internationale continuera à mettre la main à la poche pour finalement remplir les comptes en banque des dirigeants de ce pays.

Ce texte est aussi moche que ce que je tente de décrire.

Je n’arrive plus à écrire, je n’ai plus envie d’écrire.

dimanche 22 mars 2009

Escapade en Ouganda

Ouganda,
Février 2009




Je n’étais pas sûre d’y arriver. L’avion a du faire demi-tour après 30 minutes de vol à cause d’un problème technique. Après une heure d’attente à la case départ (aéroport de Kinshasa), à tourner en rond dans l’incertitude, on nous dit que l’on pourra embarquer sur un autre avion, plus petit. En une heure, le stress avait remplacé la joie qui entourait le départ: nous avions peur que le vol serait tout simplement annulé.

On atterrit à Entebbe à 20h du soir, l’avion étant plus petit nous avons mis plus du double du temps pour arriver et avons été secoué comme jamais peu avant de survoler Kisangani.

Après les formalités douanières dans un aéroport vide et moderne, je respire un autre air. L’air est frais. Il n’est pas chargé de cette pesanteur et agressivité qui règne à Kinshasa. Personne à l’aéroport ne nous a regardé avec haine ni n’a essayé de nous soutirer quelques dollars.
Nos amis viennent nous chercher. On s’entasse dans la voiture. Deuxième surprise : il existe des routes non détruites en Afrique !

Ça fait du bien de découvrir une autre Afrique. Tout n’est pas comme Kinshasa ! Je suis soulagée. Kinshasa est la seule ville de l’Afrique que je connais et je commençais à désespérer en m’imaginant que ce grand continent pouvait ressembler partout à Kinshasa.
Cette courte expérience en Ouganda m’a redonné de l’espoir. Elle m’a aussi permis de comprendre comment mes amis pouvaient aimer vivre dans certains pays de ce continent. Précédemment, il m’était difficile de les imaginer en moto sur les routes de Bamako, voyageant en taxi à Abidjan, être libre, …


Ce voyage m’a également permis d’avoir une courte réflexion sur les différentes « colonisations ». Je me suis rappelé mes lectures durant mes études sur l’Etat importé, l’occidentalisation de l’ordre politique de Bertrand Badie. L’Ouganda, colonisée par les Britanniques avec un système politique décentralisé, a été moins néfaste que celui de la Belgique. Je suis maintenant curieuse de découvrir un pays anciennement colonisé par la France et son Etat méga centralisé.

Pendant ce séjour, mes amis et moi nous n’avons pas arrêté de comparer certains aspects de l’Ouganda avec la RDC. Cet exercice a été une torture pour moi : plus ça allait et plus je redoutais le retour à Kinshasa. Je me suis donc vite obligée à stopper cette torture. Mais il était impossible de ne pas remarquer la différence de la qualité de vie entre les deux pays. Au supermarché du coin, j’achète ce que je ne trouve pas à Kinshasa : des pinces à linge, 2kg de café de très bonne qualité à un prix raisonnable, et une réserve de briquets qui marchent.

Je me désintoxique petit à petit, après trois mois de Kinshasa dans les veines. Je réapprends à me sentir libre.

Je marche dans les rues d’Entebbe et de Kampala sans peur après avoir balayé les craintes kinnoises qui me collaient à la peau. Curieusement, je me sens comme je me sentais en Amérique du sud : des bus urbains et interrégionaux qui fonctionnent dans le même chaos latino américain, des motos-taxi partout…
Dans les rues de Kampala et d’Entebbe, les berlines et les 4x4, presque exclusivement des Toyota, ont remplacé les Mercedes kinoises qui s’engouffrent dans les trous et lacs qui font partis de la décoration urbaine.
Depuis que je suis arrivée, je dors comme si je n’avais pas dormi depuis 3 mois. Je récupère de la grosse fatigue laissée par la malaria, mais surtout par les effets néfastes des médicaments. Le stress retombe également.



Vers Fort Portal


Sur un coup de tête, nous décidons d’aller à Fort Portal pour compenser le fait que l’on a pas pu aller au Parc National de Murchison Falls. On quitte notre hostal de backpackers de Kampala. On ne sait pas très bien s’il y a des bus, à quelle heure et d’où ils partent, mais on y va. Ici, c’est le pays du possible. On s’arrête au bord de la route où se trouvent d’autres personnes en train d’attendre. À la différence de Kinshasa, ici personne ne court vers le bus, ni se chamaille pour prendre les places précieuses : il y a des bus qui passent toutes les minutes. Nous demandons quel bus nous devons prendre pour aller au terminal de bus inter régionaux. On nous explique comment déchiffrer les signes codés des mains des assistants de chauffeurs pour informer les passagers dans quelle direction ils vont.
On trouve le bus qui part à Fort Portal. Le bus part dès qu’il se rempli
t. Nous sommes les seuls Muzungu (« Blancs » en swahili) dans le bus ; les gens nous regardent avec curiosité, mais bizarrement je ne me sens pas étrangère.


Pendant l'attente, j'aperçois un grand panneau "3ème jour de prière annuel national-Thème: vous transformez de rechercheur d'emploi à créateur d'emploi".

Un petit bout de femme s’assoit à côté de moi au fond du bus. Anna a 16 ans, mais elle fait physiquement beaucoup plus jeune. Elle est curieuse et intelligente. C’est la seule fille de 9 enfants. Elle se rend à Fort Portal où vit sa mère : l’école a repris. Elle a les cheveux très courts, au naturel, comme la plupart des Ougandaises. Elle nous demande d’où est ce qu’on vient. De France ? d’Allemagne ?
Je lui dit que mon père est italien et ma mère française, donc je suis les deux. Elle me répond : « Ici, on est d’où le père vient, donc tu es italienne. »
Elle nous montre ses cahiers d’école de ses cours d’histoire : « L’implication de l’Afrique de l’Est dans la 1ère et 2ème Guerre Mondiale ». Je feuillette ses cahiers et j’essaye de déchiffrer son écriture. Je ne connaissais pas cette partie de notre histoire.
Elle a choisi comme option Littérature plutôt que le français. Elle voudrait devenir écrivain, mais sa mère veut qu’elle devienne médecin. Mais elle ne sait pas si elle pourra aller à l’université car les droits d’entrée sont chers. C’est un Anglais, qu’elle ne connaît pas, qui lui paye les droits d’inscription au collège.
Elle semble très intéressée par l’Allemagne et par mon compagnon de voyage, un Allemand. Elle veut voir les photos de notre voyage. Mon ami lui passe sa caméra : il y a aussi des photos de l’Europe. Elle nous trouve courageux de vivre loin de notre famille et amis pour aider les autres. Je lui réponds : « On essaye d’aider les autres, on n’y arrive pas tout le temps, mais on fait de notre mieux. Le principal c’est toujours de faire de son mieux, quoi qu’il arrive et même si on n’y arrive pas, pour ne pas regretter. »

Nous voyons défilés le paysage par la fenêtre, le long de cette route en ligne droite: forêts de toutes sortes, champs de thé à perte de vue … Partout la terre est cultivée.


On échange nos emails avec Anna. Elle descend du bus et nous, on continue jusqu’au terminal. Le voyage a été rapide : 4h30 pour faire 350km.

On demande comment aller au lac. On marche jusque la station de taxis collectifs. On met nos sacs à dos dans le coffre. On s’assoit derrière. 1, 2, 3, 4 personnes devant, 1, 2, 3, 4 personnes et demi à l’arrière. Un des passagers partage le siège du chauffeur. «Mais comment fait-il pour changer les vitesses ? Mais il arrive à mettre les pieds sur les pédales ? Cette carcasse surchargée arrivera-t-elle à destination ? » Ces situations me font rire.
Sur le chemin de terre rouge le chauffeur conduit doucement. Il s’arrête en cours de route pour prendre un autre passager malgré les protestations des autres passagers : il n’y a pas de place ! Finalement, une dame va s’asseoir sur les genoux du nouvel arrivant. La jeune femme avec son bébé à côté de moi semble ennuyée. Nous sommes maintenant 9 et demi dans la voiture 5 places : 4 à l’avant et 5 et demi à l’arrière. Le nouveau passager commence à gigoter. Il parle dans sa langue. Je comprends les mots « telephone number », « sim card » : il cherche son portable. La voiture s’arrête. Il descend, fait bouger tout le monde. Je découvre un autre bébé qui voyage à bord avec nous. Nous sommes donc officiellement 10 personnes dans la voiture. Le monsieur nous regarde et nous confirme en anglais qu’il ne trouve pas son portable. Nous sommes trop loin pour faire demi-tour. La voiture redémarre. La femme avec le bébé descend un peu plus loin sur un croisement où il y a des gens qui l’attendent. Pendant ce court arrêt, quelqu’un essaye de nous vendre un calendrier 2009 d’Obama.

Après 45 minutes de voyage, on arrive à notre destination : le Enfuzi Community Camp site, perché en haut du lac Nkuruba, situé dans le cratère d’un ancien volcan. Le soir, il fait frais et c’est presque agréable de dormir sous une couverture.


Le lendemain on décide de faire une longue marche de 4 heures sous le soleil (il n'y a presque pas d'ombre, les arbres ont été coupés) pour rejoindre la cascade Mahoma. Après un petit-déjeuner copieux, on entreprend notre marche vers 7h30 du matin, à la même heure que les écoliers. Ils nous rejoignent vite : «Muzungu, how are you ? » Cette chanson va nous suivre pendant presque tout notre chemin, comme un refrain. Nous sommes l’attraction des enfants mais pas seulement. Les enfants s’arrêtent de pleurer pour nous chanter « Muzungu how are you ? » Les travaux dans les champs s’arrêtent à notre passage « Muzungu how are you ? » Il n’y a aucune haine ni méchanceté dans leurs yeux, mais plutôt de la curiosité.
Les quelques enfants qui nous ont rejoint sont habillés en rose pour les filles et bleu pour les garçons. Parfois, les grands frères portent les chemises roses des sœurs, mais ne portent pas de jupe, sinon un short bleu. Certains sont pieds nus, d’autres ont des sandales. Les enfants courent pour faire un bout de chemin avec nous et nous parler. Des enfants, allant dans le sens contraire vers une autre école, viennent nous toucher la main et partent en riant. Tout d’un coup je me retourne et ce n’est plus 3-4 enfants qui nous suivent mais une école entière ! Ils se sont tous empressés pour marcher avec nous et nous observer, j’imagine.

On traverse des villages. Je suis impressionnée par les maisons en paille et terre, soigneusement entretenues et balayées. Des maisons en construction nous permettent d’apprécier la technique de fabrication.



Le soir, je mange du Matoke, sorte de pâte de banane verte, avec une sauce de ground nuts, histoire de reprendre des forces.

De retour à Entebbe, nous nous arrêtons sur une plage du Lac Victoria. Il me fait penser au Lac Titikaka, avec cette étendu à perte de vu. Le lendemain, on enjambe des moto-taxis et on y retourne pour y passer notre dernière journée. Sur la moto, je ressens les mêmes sensations qu’à Kathmandu et je me rappelle avec nostalgie mes escapades avec N. à Hetauda.


J’installe ma serviette sur le sable au soleil et je me mets à dévorer le livre qui m’a accompagné tout le long du voyage, Danse du Léopard de Liève Joris, pendant que le clapotis des vagues me berce. Dans son livre, Joris raconte son voyage dans le Congo lors de la chute de Mobutu et la prise du pouvoir par Kabila. Je tourne la dernière page du livre. Le retour à Kinshasa m’effraie. L’angoisse me revient à l’idée que le lendemain je perdrai ma liberté. Comment je trouverai Kinshasa ? Y aura-t-il des attaques des rebelles ? C’est la guerre là-bas, comme décrit dans les dernières pages du livre ? J’ai tellement été immergée dans le livre que je ne me souviens plus comment était Kinshasa lorsque je suis partie, il y a une semaine. J’ai le ventre noué et la gorge serrée ne sachant plus à quoi m’attendre lors de l’atterrissage.

Je ferme le livre.

samedi 21 février 2009

Murs

Kinshasa, RDC
Février 2009
















Les murs de chez moi et de ma vie


Enfin j’ai trouvé un appartement ! Enfin j’ai un chez moi ! Après deux mois de recherche intensive à visiter des appartements miteux à des prix exorbitants, à faire du porte-à-porte avec I. dans des quartiers ciblés le dimanche, je m’installe début janvier dans un immeuble historique de la capitale.
J’habite le plus vieil immeuble de Kinshasa, construit par Léopold II, le roi des Belges et l’ancien propriétaire tyrannique du Congo. Sur le toit de l’immeuble, délabré et laissé au bon vouloir du temps et du climat humide, se dresse encore fièrement l’imposant porte-drapeau doré où flottait au vent le drapeau bleu et étoilé du Congo de Léopold, qui pouvait alors être vu par tout Kinshasa.

Dans cet immeuble, l’appartement détonne. C’est un oasis coloré au milieu d’un champ de mines d’odeurs, de moustiques et d’animaux.
A quoi pouvait-il ressembler il y a 60 ans, quand les arbres ne poussaient pas encore sur les fenêtres et la cour intérieure n’était pas encore utilisée comme dépotoir par les quelques locataires? Les fenêtres qui donnent sur la cour restent condamnées et les moustiquaires aux fenêtres ne servent pas à grand chose. À quoi bon remplir la maison de cette vue sur le zoo qui gargouille et de risquer au passage de se prendre un seau d’eau ? De l’autre côté, les fenêtres donnent sur la ville bruyante et chaotique. On voit au loin le drapeau de l’ambassade de France, installée dans un immeuble fané et grillagé digne de la créativité des architectes français des années 60. L’ambassade française est une des seules ambassades à ne pas se trouver dans le riche quartier des ambassades avec jardin et vu sur Brazzaville, au bord du fleuve.

Mon immeuble est situé dans le centre ville, à deux pas des supermarchés et de la nuit nocturne. Enfin, il se trouve à 500m de l’endroit où je passe une grande partie de mes journées.
« Je vais pouvoir marcher, m’approprier de cette ville et sentir la ville à laquelle j’ai été arrachée lorsque j’étais annexée à la voiture ! » pensais-je. Je ferais fis de tous les discours alarmistes qui m’avertissent des dangers que j’encours en marchant ces malheureux 500m.
Le premier jour, c’est le bonheur : je marche insouciante, souriante, presque en chantant. Les gens que je croise, étonnés de voir marcher une Mundélé – Blanche, en Lingala- dans les rues sales, me disent « bonjour maman ».

Mon enthousiasme s’est vite envolé. Au deuxième jour, je me fais attaquer par un chégué, enfant de la rue. Que c’est dur de commencer la journée si tôt le matin en se cognant contre la réalité kinoise ! À mes cris au secours, des personnes accourent avec la rapidité d’une journée qui s’annonce très chaude. L’adolescent en guenilles a eu le temps de s’échapper au pas. Les gens s’attroupent autour de moi, me demande ce qui s’est passé. Je ne sais pas si c’est la perte du pendentif, offert par ma mère il y a plus de 20 ans et qui ne me quittait plus depuis, qui me fait monter les larmes aux yeux, ou bien le fait que je réalise que je viens de perdre si tôt ma trop jeune liberté. Je ne veux pas pleurer devant ces gens. On cherche à me réconforter pendant qu’on m’aide à chercher mon pendentif tombé peut-être sur le sol boueux:
- « Dieu s’occupera de le punir. » me dit un papa.
Je n’ose pas lui répondre que je n’ai pas vraiment confiance dans la justice de Dieu.
Un autre papa me demande
- « Pourquoi vous n’avez pas crié plus fort ?
- Mais j’ai crié. Vous n’étiez qu’à quelques mètres !
- Vous avez la voix roque », me répond-il.
La prochaine fois, je penserai à faire mes vocalises pendant le petit-déjeuner.

Un policier s'approche, menaçant. Il regarde la foule en colère, sans me regarder.
- « Pourquoi vous n’avez pas réagi ? Pourquoi vous n’avez pas attrapé le voleur ? Je peux tous vous convoquer au poste pour complicité ! »
J’interviens pour calmer le policier inutile, en les excusant. Ils ne pouvaient rien faire : « ils ne pouvaient pas me voir à cause des 4x4 garés sur le trottoir. » C’est le monde à l’envers. Il repart aussi vite qu’il a pointé son nez. Il n’y a rien à pêcher.

Et moi, je continue mon chemin vers ma destination, à pied pour la dernière fois. Je vais devoir abandonner définitivement à faire de la marche à pied et continuer à grossir à chaque bouchée de poulet et de riz.

Une situation mûre à craquer?

La vie à Kinshasa est toujours aussi chère, les prix ont même augmenté depuis janvier quand le Francs congolais à chuter. En une semaine, le FC, qui se changeait à 550 pour 1USD, en valait plus de 800 et jusqu’à 1000 dans l’Est du pays. Le change baissait de minute en minute. Il s’est aujourd’hui stabilisé autour de 720, mais une rechute est à prévoir bientôt : un journal belge titrait, il y a quelques jours, la banqueroute de l’Etat de la RDC.

Après cette chute vertigineuse du mois de janvier, les bars et restaurants ont changé leurs menus en USD, augmentant les prix au passage, déjà très hauts, de quelques dollars. Ils demandent à être payé en USD et rendent systématiquement la monnaie en FC pour se débarrasser de cette monnaie imprévisible et qui ne vaut rien. Je joue le jeu des restaurateurs et je peste pour qu’on me rende des USD. Évidemment, ils n’ont jamais assez de USD mais en insistant assez, ils en trouvent pleins dans leurs caisses.

Si ça continue comme ça, les gens vont étouffer. La vie était déjà très chère, mais là, ça va devenir intenable. Ce l’est déjà pour certains d’entre nous expatriés, je n’ose même pas imaginer pour les Congolais. J’ai commencé à élaborer une liste de prix des produits selon les 4 principaux supermarchés de la ville : Kinmarket, Citymarket, Hasson & frères et le mini-supermarché détaxé pour expats. Le pain arabe est moins cher chez Kinmarket, les boîtes de conserve au super pour expats, le couscous chez Hasson…

Faire les courses demande un temps fou. Les prix ne sont pas affichés sous les produits mais des codes produits : F80, H128, H330, etc. Il faut se référer à la liste des codes accrochées quelque part pour avoir la correspondance des prix. Une fois que l’on sait que F80 est moins cher que F93 ça va, mais pour le prix exact, c’est sur le papier !

Je redoute sincèrement une révolte. Et d’ailleurs, pourquoi pas ? Les Congolais ont déjà suffisamment souffert, il serait temps de réagir. Mais je crains le type de révolte.
La crise a déjà fait une méchante entrée dans le pays. Plus de 300 000 personnes ont perdu leur travail dans les mines. Cobalt, cuivre, or, diamants, uranium dont le sol du Congo regorge ont chuter sur le marché. Le cuivre a perdu 75% de sa valeur, le diamant 40% et le cours du cobalt a été divisé par cinq.

L’économie de la RDC dépend de l’exportation de ces matières premières et du pétrole. L’agriculture est quasi inexistante. Les terres les plus riches se trouvent à l’Est, que les agriculteurs ont fuis à cause des conflits de ces dix dernières années. De plus, à cause de la richesse des sous-sols, l’Etat n’a jamais investi dans l’agriculture. Peut-être un début d'explication: dans la région de l’Equateur, les gens « ne travaillaient pratiquement plus la terre : ils attendaient qu’il [Mobutu] sème l’argent » raconte un habitant de Gbadolite, ville de Mobutu, dans le livre Danse du Léopard de Liève Joris.

Les murs des prisons
Alors que je parcours la ville avec un de mes collègues, celui-ci me commente l’époque de Mobutu et se plaint de la passivité du jeune Kabila, le fils du « libérateur ».
- « Avec Mobutu, au moins les routes de Kinshasa étaient propres et en bon état. Il n’y avait pas toute cette poussière. Il n’y avait pas tous ces chégués dans les rues. On arrêtait les gens qui étaient mal habillés, comme cette personne par exemple. » Il me désigne avec le menton une personne qui marche dans la rue.
- « Mais ces enfants sont des orphelins, ils ont été chassés par les guerres, ou bien ont fui leurs maisons. Où tu veux qu’ils vivent ? »
- « Les policiers demandaient les papiers aux gens. S’ils n’étaient pas de Kinshasa et qu’ils n’avaient rien à y faire, ou bien s’ils n’avaient pas de travail et qu’ils se promenaient dans des quartiers de bureaux, alors on les jetait en prison.
- Mais Mobutu était un dictateur. Il a ruiné le pays.
- Kabila aussi est un dictateur. Mais au moins du temps de Mobutu les routes étaient propres et il n’y avait pas de chégués qui traînent partout. Ce n’était pas comme ça ici. On vivait mieux.
- Tu crois vraiment que la solution est de mettre les gens en prison parce qu'ils sont pauvres ? »

Je ne sais pas d’où il tient ces discours, ni si le nettoyage des rues des pauvres étaient effectivement vrai sous Mobutu ou bien si c’est une affabulation du passé ou de la propagande douteuse. Ce qui est sûr, c’est qu’il aurait peut-être voté pour Sarkozy s’il avait été Français.



Les murs invisibles
Ce week-end-là, je prends le large. Deux excursions sur le fleuve Congo sont organisées.
Le samedi, je prends un bateau-cargo pour une mini croisière. Nous, au milieu de l’eau avec nos sodas et nos shawarmas, observons l’autre rive: tout un autre monde. Des petites cases sont construites sur de petites îles, désertiques. Les habitants sont sur l’eau, lançant des filets depuis leur pirogue. On croise un bateau, long peut-être de trente mètres. Je devine à peine que c’est un bateau. On voit à peine la coque, écrasée par le poids de la cargaison. Au premier coup d’œil, je pensais que c’était un quai chargé de cargaisons, au milieu de nulle part. Le capitaine du bateau sur lequel je voyage me dit :
- « Ce bateau se rend à Kisangani. Il mettra 2 mois pour faire 1750Km à contre-courant. Pendant le voyage, la population grandira. Des femmes accouchent pendant la traversée. Il n’y a aucune hygiène. »
- Et combien de temps met votre bateau pour aller à Kisangani ?
- Nous mettons entre 20 et 25 jours. »
Kinshasa-Kasangani est le seul tronçon navigable du fleuve Congo.


Le dimanche, je suis invitée à prendre le large avec des Kinois blancs. On échoue sur un banc de sable où d’autres Kinois blancs, nés au Congo, font un pique-nique en famille, joue à la pétanque et essayent de devenir noirs.
Sur l’île, des enfants de pêcheurs se rapprochent, curieux de voir ces habitants d’un autre monde parlant le Lingala, mangeant de la viande sous des parasols, et se baignant dans « leur » fleuve. J’affronte ma peur du courant, de l’eau trouble et des possibles serpents. « Il n’y a pas de crocodiles ici ? »


On est bien dans l’eau ! Elle rafraîchit la peau chauffée par le soleil. Nous aussi on a ramené de la viande à griller, de la salade, et des boissons. Et dire que ce petit coin de paradis est à 10 minutes en bateau à moteur de Kinshasa !
Les enfants de ces étrangers s’amusent comme des fous, se jettent dans l’eau autour de nous. Les enfants de l’île voisine s’approchent. De temps à autre, un adulte les chasse, dès qu’ils s’approchent un peu trop, en leur criant quelque chose en Lingala que je ne comprends pas. Mais c'est efficace: les enfants partent en courant.
Je demande à un de mes voisins pourquoi on ne laisse pas les enfants jouer ensemble. Il me répond : « je ne sais pas. J’imagine que c’est à cause du choc des cultures. »

Les pieds dans l’eau, je regarde ces enfants à quelques mètres de moi et qui ont commencé à s’amuser aussi dans l’eau. Ils plongent dans l’eau rougeâtre en faisant toutes sortes de galipettes dans les airs. Deux petites filles sont assises près de moi, lorgnant l’eau, pendant que leurs parents jouent à la pétanque. Une petite fille de « l’autre côté » s’approche en nageant de nous, curieuse. « Oh le gros poisson ! » je lui dis. Je ne sais pas si elle comprend le français mais elle sourit. Une de mes petites voisines blondes me dit en regardant l’autre enfant :
- « Mon papa n’aime pas les Congolais.
- Pourquoi ?
- Parce qu’ils sont noirs.
- Mais ce sont des enfants comme toi. »

Je ne sais pas très bien quoi répondre. Ce n’était peut-être pas non plus la meilleure réponse à donner à une petite fille de 4 ans. Mais quoi répondre à ça lorsque l’on n’est pas préparé? Je doute également que le papa ait également ses sentiments, sinon comment pourrait-il vivre encore ici, lui qui est né là ?



Un des enfants me demande de la prendre en photo. J’hésite, craignant qu’ils ne me demandent quelque chose en retour. Finalement je la prends en photo. En deux secondes, tous les enfants se trouvent autour de moi et cherchent à être dans le cadre, puis demandent à voir les photos. Ils rient en se voyant sur le petit écran. Je ne comprends pas ce qu’ils disent. Les garçons essayent ensuite de s’imposer devant l’appareil. Un des garçons pose. En regardant la photo, les autres rigolent. Moi, je m’effraie en voyant son regard.

Au loin, le ciel s’assombrit. Il y a un orage sur Kinshasa. Il est temps de repartir.
Un enfant disparaît derrière les herbes avec un sac-poubelle laissé par nos voisins.