samedi 13 décembre 2008

Losáko Kinshasa

Kinshasa
5 décembre 2008

Comment commencer cette histoire ?

On va la commencer dans l’avion, au moment où j’ai ouvert mes yeux et j’ai vu une énorme étendue d’arbres et un fleuve, un fleuve immense, si grand que j’ai cru que c’était la mer.
A l’aéroport de Kinshasa, je me sépare de mon ami de voyage, un journaliste du Courrier International, et j’essaye de garder mon calme en attendant que mes valises apparaissent. Au bout d’une heure, ou peut être moins, j’en vois une sous un tas d’autres valises. Enfin une ! l’autre arrive dans un autre camion un peu plus tard. Je ne comprends pas d’où viennent toutes ces valises. Pourtant sur la piste, il n’y a que mon avion.
Un petit bonhomme de peu de mots est venu me chercher à l’aéroport. Il prend mon passeport, je monte dans le minibus et la traversée de la ville commence. En regardant par la fenêtre une impression de déjà-vu, déjà vécu.

Je suis fatiguée par les 14h de voyage, mais enthousiaste. On me dépose à l’hôtel où je m’écroule de sommeil sans dîner.

Mes premiers jours ont été un peu éprouvant et j’ai dû souvent arrêter d’écouter les gens que je rencontrai pour ne pas déprimer dès mon arrivée.
- "Première fois en Afrique? Tu n’as pas choisi le pays le plus simple. Après le Congo, ce sera facile partout!"
- "Tu viens juste d’arriver ? Ca se voit, tu souris encore!"
Voilà les mots de bienvenus que je me suis entendu dire.



J’ai encore du mal à exprimer ce que je ressens dans cette nouvelle vie. Mais je suis face à une expérience à laquelle je n’avais jamais été confrontée : ma peau et ce qu’elle représente marquent la différence. On me regarde avec mépris, on me défit ou on me fait la courbette. Ma peau supporte des siècles de cruauté, d’inégalités abominables, un passé et un présent que je déteste, me répugne. J’observe des choses, des comportements qui me font violence, que je n’ignorai pas mais maintenant je les vis dans ma chair et ils transpercent mes os.



Dans la voiture, tous les jours, la ville me traverse, malgré cette bulle dans laquelle je suis et dont je n’arrive pas encore à me défaire. A cause des distances, de mon isolement, je ne me suis pas encore sentie partie de la ville. De la fenêtre de la voiture, pendant les heures de voyage coincée dans les embouteillages, j’observe.


Il y aurait tant de choses à écrire à propos des rues kinoises…

Le peu de routes et leur état génèrent des embouteillages monstres, malgré qu’il y ait relativement peu de voitures. Pas de motos, ou rares. Hors des axes principaux et carrossables, les rues sont impraticables, et bien souvent fermées par les habitants pour éviter la circulation. Même dans les rues des villas, les riches ne prennent pas la peine d’asphalter les rues boueuses ni de remplir les trous creusés par les pluies torrentielles.


La voiture la plus populaire est de loin la Mercedes. J’ai aperçu une jaguar également un soir qui essayait d’affronter les routes cabossées. J'ai vu des décapotables, une Lincoln, une limousine...
J’ai vu des Mercedes coincées dans des mini lacs au milieu de la route. On ne parle pas toujours de vieilles voitures qui font une deuxième vie en Afrique. Non. Apparemment les Mercedes sont préférées aux 4x4 bien que beaucoup plus adaptées aux conditions extrêmes de ces routes.
Mercedes, signe extérieur de richesse, notoriété ? Peut-être. Je demande à un ami Congolais de m'expliquer ce phénomène que je ne m'explique pas. "Si tu achètes une Mercedes ou une berline de luxe, dans le quartier on parlera de toi et on te reconnaitra."
Si la voiture a été importée, on ne cache pas sa provenance : la plaque d’immatriculation du pays d’origine apparaît sous la plaque locale.


Sur les routes, les fourgons de transport « localisées » font voyager les Kinois à travers l’Europe : « Italienisch eis », « boucherie de Paris, rue de Strasbourg, tel : 01 43 21 05 ... ». Les derniers deux derniers numéros manquent. Désolée, on a préféré découper la carrosserie pour faire une fenêtre pour permettre aux voyageurs de respirer un peu et faire rentrer un peu de lumière.

La vie est chère en RDC. J’étais prévenue avant mon départ. Mais « cher » par rapport quoi? à l’Afrique ? J’ai compris en arrivant. Je ne pensais pas me sentir autant en Europe qu'au Congo quand je sors mon porte-monnaie ! Je ne suis pas dépaysée de ce côté là. Un exemple concret ? Un appartement de deux chambres coûte entre 1500 et 2500 USD, et bien sûr je me fiche un peu des standards européens de confort. Les 3 à 6 mois de garantie qu’il sera difficile de récupérer à cause des « problèmes » de liquidité des propriétaires, un à trois mois de loyer en avance, voir un mois de loyer additionnel pour l’agent immobilier, rendent difficile ma recherche de logement. La nourriture ? venez faire un tour dans le marché ou la paillote d'un quartier populaire.

Je demande à un Congolais qui me conduit chez moi :
- « Mais comment vous faites pour vivre ? Pourquoi les Congolais ne se révoltent pas contre les prix faramineux à l’instar d’autres pays?
- Ici, les gens préfèrent prier beaucoup. » me répond-il sans ironie.

Un collègue, pleins d’ironie par contre, à une autre réponse à ma question: « Les gens se révolteront quand ils augmenteront le prix de la Primus (bière locale). »

Les églises évangéliques et autres poussent comme des champignons. Il y en a une à chaque coin de rue et c’est devenu un vrai business, un peu comme les milliers de commerces inscrits comme ONG de développement pour ne pas payer d’impôts. « En manque d’argent ? vous avez des facultés de leadership, vous avez du charisme et vous pouvez parler en face d’une large audience avide de paroles réconfortantes : ouvrez votre temple ! » Ceci pourrait être une annonce publiée dans les journaux dans la rubrique « offres d’emploi ».
Chaque dimanche, l’église évangélique gospel voisine me réveille. Un homme (c’est toujours un homme) crie dans son micro la bonne parole. Apparemment, dans le quartier ils sont les seuls à ne pas souffrir des coupures d’électricité du dimanche et ils doivent avoir un bon stock de carburant pour le générateur. Remarque, ils pourraient économiser la sono pour les musiciens et la batterie. Je suis sûre que la musique pourrait être audible sans cet attirail. Au moins je peux prendre ma douche en musique puisque chez nous on n’a pas d’électricité.
Ce matin le bonhomme convaincu criait « les congolais ne savent pas réfléchir ! » et derrière, un autre voix traduit en lingala, langue locale parlée à Kinshasa.
Certaines semaines, des séminaires sont organisés dans la soirée, de 17h à 20h.
Besoin d’être désensorcelé ? Besoin d’une dose de catharsis ?

Et moi qui pensais qu’en Amérique latine le niveau de ferveur avait atteint son paroxysme, après l’élimination de la théologie de la libération et la colonisation de l’Opus Dei et des évangélistes !

Un matin, j’arrive au travail un peu plus tôt que d’habitude et avant mes collègues. Je peux donc observer un de mes collègues s’installer en face de son bureau, juste en face du mien. La bible ouverte, il fait sa prière les mains croisées en face de son visage incliné vers le bas, les yeux fermés.

Amen.